La femme dans les religions monothéistes. Voici un sujet dont on mesure bien à la fois l’intérêt et la difficulté. C’est également un sujet dont il n’est pas besoin de souligner combien il se trouve au centre de nombreux débats et de préoccupations d’une grande actualité.
2La femme dans la religion c’est aussi la femme dans la société, c’est l’image que nous nous faisons de nos sociétés.
3On comprend l’intérêt de cette réflexion en ces temps, où certains groupes de pression et idéologies tentent de faire prévaloir des théories ou des lois qui remettent en question les fondements mêmes de nos sociétés et nos valeurs les plus fondamentales.
4L’intérêt de ces remarques, on le comprend aussi au regard de tout ce qui peut être dit ou écrit sur l’islam et la femme, ce qui est le thème du petit livre que j’ai récemment publié chez Desclée de Brouwer.
5Parmi les facteurs d’incompréhension dont souffre l’islam, la condition de la femme occupe une place importante.
6La question de la femme est une source inépuisable de quiproquos, de polémiques et d’incompréhension.
7Aux yeux de certains, l’islam serait la religion qui opprime les femmes ; la femme musulmane vivrait en marge de la société, dans une situation d’infériorité, dominée par l’homme et empêchée d’évoluer.
8Cela donne à penser et incite à remettre en cause les préjugés injustes sur cette question sensible, qui mérite toute notre attention.
9J’ai écrit mon livre pour réfuter les exagérations et les clichés. Mais mon objectif est aussi de réfuter, et même condamner les dérives extrémistes de ceux qui donnent une caricature inexacte de l’islam.
10Je propose de revenir aux sources.
11Que dit exactement l’islam au sujet de la femme ?
12C’est à cette question qu’il faut d’abord répondre.
13Il est clair qu’il existe un grand décalage entre, d’une part, les clichés et les idées reçues et, d’autre part, la véritable doctrine de l’islam.
14Cette doctrine ne découle pas des interprétations plus ou moins hasardeuses de soi-disant cheikhs ou de charlatans qui ont pris la religion en otage.
15La doctrine de l’islam découle tout simplement du Coran et de l’enseignement du Prophète Mohammed.
16Il suffit de lire le Coran pour être convaincu que le Livre saint de l’islam a représenté un progrès pour la condition féminine. Contrairement aux nombreuses idées toutes faites qui ont cours en Occident, il faut répéter que l’islam a donné à la femme un statut qui la respecte et l’honore, tant sur le plan spirituel que sur le plan social. Sur le plan spirituel, il a affirmé l’égalité entre les hommes et les femmes. Sur le plan de la vie en communauté, il a reconnu aux femmes des droits et une protection dûment codifiés, mettant fin à un état d’infériorité. L’Islam a permis le passage de la famille patriarcale, dans laquelle la femme n’avait aucun droit, à la famille conjugale, dans laquelle elle est une moitié du couple. Omar, le deuxième calife bien-guidé, exposait :
« Avant la venue de l’islam, nous autres n’avions pas de considération pour les femmes. Puis, lorsque vint l’islam et que Dieu Tout Puissant évoqua leurs droits, nous nous mîmes à comprendre qu’elles avaient des droits sur nous [1][1]Rapporté par Boukhari (al Sahih).. »
18Selon l’islam, l’homme et la femme sont égaux devant Dieu, ils sont pareillement les lieu-tenants de Dieu sur terre. Tous les versets coraniques relatifs aux droits et aux devoirs de l’homme concernent également la femme. D’ailleurs, pour que les choses soient claires, il est le plus souvent écrit les croyants et les croyantes.
19La Révélation s’adresse à tous sans aucune distinction de race, de sexe, de condition sociale. En matière religieuse, le Coran n’établit aucune supériorité de l’homme sur la femme, car le seul critère retenu est celui du comportement, de la piété. C’est à cette aune que les humains sont appréciés et seront jugés par Dieu :
« Tout croyant, homme ou femme, qui fait une bonne action entrera au Paradis. »(Coran, XL, 40)
21Le Coran expose aussi la complémentarité entre l’homme et la femme qui sont un couple, « un vêtement l’un pour l’autre ».
22Outre les principes du Coran, tout l’enseignement du Prophète – la Sunna – prône le respect de la femme. Selon un hadith du Prophète : « la femme est la sœur germaine de l’homme ».
23Bien entendu, une femme et un homme ne sont pas totalement semblables, en particulier sur le plan biologique. Ainsi, malgré les expériences pseudo-scientifiques les plus douteuses, allant de la procréation artificielle jusqu’au clonage, on ne changera par la nature humaine ni la règle qui veut que c’est la femme qui enfante. Entre les deux sexes, le Coran pose la règle d’un partage dans la réciprocité, la complémentarité, la cohérence : il ne s’agit donc pas d’une dichotomie, encore moins d’une opposition…
24Les rapports entre les hommes et les femmes sont du domaine de la fraternité, du soutien et, principalement, la complémentarité. L’homme et la femme ne sont pas identiques en tout point mais bien complémentaires, ce qui est infiniment supérieur. Ils sont « un vêtement l’un pour l’autre ».
25C’est donc à ses sources fondamentales qu’il importe de remonter.
26Les traitements parfois inacceptables réservés aux femmes dans quelques pays musulmans n’ont pas une origine religieuse.
27Il faut bien faire la distinction qui s’impose entre la religion musulmane et les coutumes ou les pratiques ou habitudes qui sont très éloignées des prescriptions islamiques.
28S’il est incontestable que la condition de la femme dans certains pays – et plus particulièrement dans certaines couches de population – est déplorable, ce serait une erreur d’imputer la responsabilité de ce genre de situation à l’islam.
29Par exemple, des déguisements comme la burqa et le tchador sont des coutumes locales (afghane, perse) qui n’ont rien à voir avec la religion.
30Le voile lui-même n’est pas une prescription stricte et précise.
31L’excision, que l’on condamne à juste titre, est une pratique africaine, régulièrement blâmée par l’islam. C’est une pratique d’ailleurs inconnue dans les pays musulmans en dehors de l’Afrique noire (où elle concerne d’ailleurs aussi bien les chrétiennes que les musulmanes).
32La polygamie n’a pas été initiée par l’islam qui, au contraire, incite à y mettre un terme en posant des conditions si strictes qu’elles sont irréalisables.
33En réalité, ce qui fait du mal à l’islam, ce sont les ignorants et les bonimenteurs qui racontent n’importe quoi, tous ceux qui trahissent le vrai Message progressiste et humaniste de l’islam.
34C’est ainsi qu’a pu se développer un conservatisme outrancier, enfermé dans la stagnation et la routine. Un conservatisme et des pratiques encouragés par l’ignorance, par la répétition d’habitudes folkloriques et par l’imitation aveugle à des coutumes surannées.
35C’est cela qui a conduit à une sorte de misogynie stupide d’autant plus déplorable qu’elle contredit l’enseignement de l’islam et semble ignorer que les femmes ont joué un rôle important dans la construction de l’islam.
36Premièrement, les attitudes limitant les droits de la femme contredisent les enseignements les plus évidents de l’islam.
37Elles contredisent l’invitation constante de l’islam à ne pas rester englué dans le conformisme et l’imitation aveugle, le taqlid.
38En effet, le Coran et la Sunna donnent la possibilité aux croyants d’articuler l’ancien et le nouveau, de s’adapter, de se renouveler. L’islam invite à l’effort d’adaptation, l’ijtihâd.
39C’est pourquoi il faut faire la distinction qui s’impose entre la religion musulmane et les coutumes et autres pratiques ou habitudes qui sont très éloignées des prescriptions islamiques. Et à ce titre, elles doivent être rejetées et abandonnées.
40Deuxièmement, la misogynie de certains extrémistes est en contradiction avec le fait que les femmes ont, dans les textes et dans la naissance de l’islam, un rôle aussi important que celui des hommes.
41C’est un fait historique que le rôle éminent joué par de nombreuses femmes dès les origines de l’islam puis dans l’épanouissement de la civilisation arabo-musulmane.
42Il est notable que le premier musulman, c’est-à-dire la première personne à croire en la Révélation transmise par le Prophète Mohammed, ait été une femme : Khadija, l’épouse du Prophète.
43On sait le rôle qu’a joué Aïcha dans la transmission de très nombreux hadiths et comme jurisconsulte.
44De très nombreuses femmes ont tenu une place importante durant la montée en puissance de l’islam. Au fil des siècles, des femmes musulmanes se sont illustrées par leur foi, leurs connaissances, leurs actions au service du développement de la société islamique.
45Dans ces conditions, il faut aujourd’hui retrouver le véritable enseignement de l’islam. Un enseignement qui a été oublié laissant la place aux explications fallacieuses de quelques esprits égarés, ridiculement formalistes ou tout simplement incompétents.
46Il convient de rappeler que tous les réformistes ont mis en exergue le fait que la Chari’a qui, plus que loi, signifie « la voie à suivre » selon des principes fondamentaux tirés du Coran et de la Sunna, offre une large possibilité d’évolution à condition de faire l’effort (ijtihâd) de compréhension pour ne pas s’enfermer dans un droit (fiqh [2][2]Le fiqh signifie littéralement la compréhension, l’intelligence…) figé.
47Les penseurs réformistes de l’islam ont insisté sur la nécessité de l’évolution de la condition de la femme conformément aux textes fondamentaux. Rifa’a Rafi al Tahtâoui a été un pionnier du combat pour la revalorisation de la condition de la femme en écrivant en 1872, un ouvrage – Kitab al murshid al amin fi tarbiyyati al banat wa al banin (Le manuel juste pour l’éducation des filles et des garçons) – en faveur de l’émancipation de la femme musulmane.
48Mohammed Abdou, Rachid Rida, Abdel Rahman al Kawakibi et bien d’autres, voyaient dans la condition faite aux femmes une des causes du retard pris par la société musulmane. Le juriste réformiste Qassim Amîn qui écrivit, en 1899, Tahrir El Mar’â (la libération de la femme) a précisé que « la Chari’a a été la première loi à donner l’égalité à l’homme et à la femme. La corruption est venue de l’extérieur, avec des pratiques tirées des usages coutumiers » [3][3]Amîn, Qassim. Tahrir al-Mara (La libération de la femme), Le…. Pour sa part, le penseur contemporain Mustapha Chérif souligne que l’essentiel des dérives relatives à la condition de la femme « a des causes sociologiques et non point religieuses » [4][4]Chérif, Mustapha. L’Islam, tolérant ou intolérant ? Paris,…, il s’agit de coutumes archaïques ou bornées qui sont en contradiction avec les enseignements de l’islam.
49Dans le désordre des évènements du prétendu « printemps arabe », on voit maintenant prospérer des courants extrémistes qui ont des conceptions farfelues de l’islam, notamment pour ce qui concerne la femme. C’est notamment le cas en Tunisie et en Égypte.
50Il est indispensable que les grands oulémas et les sages de l’Islam dénoncent ces dérives et réaffirment vigoureusement la doctrine du juste milieu, celle de l’islam modéré. C’est d’ailleurs ce qu’ils ne cessent de faire, à l’instar du cheikh Ahmed Mohamed Ahmed al-Tayeb grand imam d’al-Azhar et l’une des plus hautes autorités de l’islam, mais il est regrettable que les médias occidentaux ne citent jamais la vigoureuse condamnation de l’obscurantisme par de grandes sommités du monde islamique.
51À tous égards, il faut se garder de généraliser. N’oublions pas que l’islam c’est plus d’un milliard et demi d’hommes et de femmes. Heureusement, il existe des pays musulmans où la condition féminine progresse et est très satisfaisante, c’est le cas en Turquie, en Indonésie, en Malaisie, des pays du Golfe comme les Émirats arabes unis et, surtout, le Bahreïn où les droits de la femme sont bien respectés et celle-ci participe activement à la vie publique malgré l’obstruction d’un parti religieux extrémiste d’opposition lié à l’Iran. À proximité immédiate de l’Europe, il faudrait citer plus particulièrement le Maroc, où un code de la famille (Moudawana) moderne a été promulgué et la condition féminine fait de grands progrès grâce à l’action éclairée du Roi, Amir al Mouminine, qui est le chef spirituel incontesté de l’islam malikite prônant le juste milieu et l’effort d’adaptation [5][5]V. Charles Saint-Prot et Frédric Rouvillois, dir., L’exception….
52À vrai dire les pays où la condition féminine est déplorable sont heureusement peu nombreux : l’Afghanistan, l’Iran, quelques autres.
53En tout cas, il est grand temps de remettre les idées à l’endroit.
54Tout l’enseignement de l’islam bannit l’exagération, il veut la modération. Il invite aussi à ne pas sombrer dans la soumission infantile à des rites incompris ou à des attitudes d’apparence, mais au contraire à un perpétuel effort d’adaptation. Aujourd’hui, le défi est de retrouver cette sagesse qui permet de suivre le bon chemin.
55Il faut constamment en revenir à l’enseignement exact de l’islam, revenir à l’esprit du texte spirituel, aux sources fondamentales (le Coran et la Sunna) qui sont beaucoup plus libérales que les dérives coutumières et les pratiques locales qui ont gangrené les sociétés musulmanes en les éloignant du message progressiste de l’islam, notamment pour ce qui concerne les droits reconnus aux femmes.
56Il faut inlassablement faire l’effort d’adaptation, cet ijtihâd toujours nécessaire qui, permettant de combiner l’authenticité et le progrès, est bien « le principe de mouvement dans la structure de l’islam » [6][6]Mohammed Iqbal, Reconstruire la pensée religieuse en Islam,….