« Ce pendentif de chair sera le calame avec lequel tu inscriras ta postérité tout au long du livre des siècles, le soc dont tu laboureras la terre-mère et le sein de la mère de tes fils. Flambeau, tu en transmettras le feu aux multitudes que tu renfermes; sabre, tu en fendras les rangs des ennemis de Dieu. Soigne-le comme la prunelle de tes yeux car il te conduira plus loin que ton regard. Mais tiens bien ce cheval ailé en bride sinon il se transformera en doigt qui t‘accuse, en tison qui brûle, en corde pour te pendre »Poésie populaire maghrébine. S. Zeghidour (Le voile et la bannière).
« Je pratique la religion de l’amour. Où que se tournent ses chevaux ! Partout c’est l’amour qui est ma religion et ma foi »Ibn al. Arabî, Turjumân al.’ashwâq (l’Interprète des désirs.)
« Je rends grâce à Dieu pour m’avoir, de votre monde, fait aimer les femmes, les parfums et la prière »Hadith attribué à Muhammad.
1Le voyageur en terre d’Islam observera sans doute de grandes différences coutumières entre les pays du Moyen-Orient, du Maghreb, d’Afrique ou d’Asie, et ne saura négliger les différences ayant court à l’intérieur mêmes de ces ensembles. Il sera sans doute attentif à la multiplicité des usages que le credo religieux est loin de surdéterminer entièrement ainsi que le notait Durkheim [1][1]E. Durkheim, Cérémonies nuptiales en Algérie, in Fonctions… qui rappelait, prenant comme exemple l’Algérie au début des années 1900, que de nombreuses pratiques liées au mariage, étaient des survivances de « l’ancienne religion populaire » qui précédait l’instauration de l’Islam.
2Ces régions, bien que différentes les unes des autres, n’en présentent pas moins une relative unité imposée par la constitution des empires « musulmans » et par la religion. Celle-ci, par les codes de conduites qu’elle impose à travers le droit islamique a produit une relative homogénéité des attitudes et ce, plus particulièrement dans le domaine du statut personnel et des liens conjugaux. J’examinerai donc, dans ce qui va suivre, la question du rapport de la religion musulmane et de la sexualité.
3Avant d’aller plus loin, je rappellerai dès à présent, que, contrairement au christianisme qui accepte le renoncement au plaisir, la tradition musulmane, encourage la sexualité. Les notions de chasteté, de pénitence, de mortification et de pêché de chair y sont réprouvées. La sexualité y est, sinon prescrite, du moins recommandée dès lors qu’elle s’inscrit dans un cadre légal et dans une union légitime (Coran XXIII—5/6). [2][2]Le terme nikah signifie en arabe « mariage » et « coït ». Une disposition aussi favorable envers la sexualité n’implique pas pour autant, que celle-ci s’exerce sans difficultés, ainsi que nous allons tenter d’en faire l’examen d’une manière aussi brève et concise que possible.
RECOMMANDATIONS CORANIQUES
La sexualité est « licite » dans le cadre d’une union légale : le mariage.
En Islam, comme dans les autres ensembles de civilisation, les frontières entre le licite et l’interdit ont été définis tout autant par la religion, la culture, la société et les adultes qui affirment par leurs moyens, les valeurs du groupe. S’il est clair que l’Islam (à entendre ici aussi bien comme espace de culture et de civilisation que comme religion) a fait preuve, à certains moments de son histoire, d’une grande ouverture d’esprit et de grandes capacités de création, il n’en demeure pas moins que le discours coranique concernant la sexualité s’est inscrit dès son origine dans des sociétés patriarcales et tribales. Pour cette religion, l’acte sexuel vise non seulement la procréation et la perpétuation de l’espèce mais manifeste aussi l’inscription du sujet dans l’ordre divin. Le verset suivant, « Et de toute chose nous avons extrait un couple. Puissiez-vous vous en souvenir. » (Coran LI-49) a souvent été interprété dans le sens de l’invitation à l’accouplement visant à unir deux parties distinctes et vivant dans l’incomplétude. Sur le plan de la sexualité, le Coran, Livre sacré des musulmans, emploie la métaphore et la symbolique agraire très connue par laquelle la femme est associée à un champ que l‘homme peut labourer à loisir. Il signe ainsi le privilège donné à la satisfaction masculine :
« Vos femmes sont un champ de labour pour vous. Venez à votre champ comme vous voulez, et œuvrez pour vous-mêmes à l’avance » (sourate II 223) Le croyant est également exhorté à se marier et à ne pas rester célibataire : « Mariez les célibataires vivant parmi vous, ainsi que ceux de vos esclaves » (Coran XXIV 32) [3][3]Selon un hadith, parole attribuée à Muhammad, celui qui se… Un autre verset ajoute :« Et parmi Ses signes Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent ». (sourate XXX-21)
5Il convient de rappeler que les cérémonies de mariage en milieu traditionnel donnent lieu, afin que soient rassurés les futurs époux et leurs parentèles, à toutes sortes de pratiques magico-religieuses qui ont pour but d’éloigner le mauvais œil et de permettre à l’époux de déflorer son épouse en faisant ainsi la preuve de sa virilité et bonne figure devant l’assistance. La virginité de la mariée est un gage de l’honneur de sa famille. Ces cérémonies se déroulaient sous le signe de l’inquiétude, voire de l’angoisse du déshonneur en cas de manquement à ces obligations.
6Les recommandations coraniques relatives à la sexualité ont trouvé un écho des plus favorables auprès de certains auteurs et théologiens tels que Ibn Qayyim Al-Jawziyya (1350) [4][4]Cité par Aziz Al Azmeh, Rhétorique des sens. In La virilité en… et Al-Ghazali (1058-1111) qui encourageaient celle-ci, non seulement en vue de la procréation, mais aussi comme réponse à la sensualité naturelle de l’être humain allant jusqu’à affirmer que la satisfaction ainsi procurée serait un avant-goût du paradis promis aux croyants en récompense de leurs bonnes œuvres et de leur foi [5][5]Al Ghazali, Vivification des sciences de la foi. 2ème dizain,….
7Malgré un esprit novateur par rapport aux cultures et aux religions qui lui ont été contemporaines, l’Islam a énoncé, comme nous allons le voir, pour les croyants soucieux d’assurer leur salut, des recommandations précises que les juristes musulmans ont inscrit dans des codes plus ou moins rigides et totalement dépassés aujourd’hui si nous les comparons au Droit en vigueur dans les pays occidentaux [6][6]Seuls quelques pays comme La Tunisie après son accession à…. La sexualité et les relations conjugales ont été encadrées dans des modalités juridiques et coutumières parfois extrêmement contraignantes. Le Coran et ce que l’on sait ou croyons savoir de Muhammad ont certes, amélioré sensiblement le statut des femmes par rapport à l’ancienne société bédouine. En effet, Le Prophète de l’Islam semble avoir tenté de limiter la pratique de la polygamie, «…Epousez comme il vous plaira, deux, trois ou quatre femmes parmi les femmes qui vous plaisent. Mais si vous craignez de n’être pas équitables, prenez une seule femme ou des esclaves que vous possédez. Cela, afin de ne pas aggraver votre charge de famille » (sourate IV-3).
8Il convient de noter que ces propos ne concernent pas Muhammad qui, lui, dispose de privilèges particuliers expressément indiqués dans le verset suivant : « O Prophète ! Nous t’avons rendu licites tes épouses à qui tu as donné leur mahr (dot), ce que tu as possédé légalement parmi les captives [ou esclaves] qu’Allah t’a destiné, les filles de ton oncle paternel, les filles de tes tantes paternelles, les filles de ton oncle maternel, et les filles de tes tantes maternelles, – celles qui avaient émigré en ta compagnie, – ainsi que toute femme croyante si elle fait don de sa personne au Prophète, pourvu que le Prophète consente à se marier avec elle, c’est là un privilège pour toi, à l’exclusion des autres croyants. Nous savons certes, ce que nous leur avons imposé au sujet de leurs épouses et des esclaves qu’ils possèdent, afin qu’il n’y eût donc point de blâme contre toi. Allah est Pardonneur et Miséricordieux. » (Coran XXXIII-50).
9Si Muhammad a également recommandé de la retenue envers les femmes répudiées (sourate IV-19.) et permis que soit octroyé aux femmes un statut personnel assorti de la possibilité d’hériter et de disposer d’un patrimoine, il a consacré, malgré tout, et pour des siècles, l’infériorité du statut de la femme. Celui-ci entre parfois en contradiction avec certains systèmes matrilinéaires [7][7]G. H Bousquet, Le droit musulman, Paris, Colin, 1963, p…, plus particulièrement en Afrique. Les versets suivant témoignent clairement du statut supérieur accordé à l’homme :
« Les hommes ont sur elles prééminence. » (II-28)
10Ou encore :
« Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand !» (IV 34)
11Ce verset, comme le verset cité plus haut (IV-3) ne rejette pas le châtiment corporel et avalise une situation sociale et culturelle qui prend exclusivement en compte le travail masculin dans la mesure où il est censé apporter un revenu faisant vivre la famille.
LES INTERDITS
12Si la religion musulmane confère aux croyants des obligations telles que celles qui viennent d’être brièvement évoquées, elle énonce aussi, comme toute religion, un certain nombre d’interdits que je vais évoquer très brièvement en commençant par l’interdit de l’inceste, loi qui régit, par ailleurs, toutes les sociétés humaines. Le Coran le fait de la manière suivante : « Vous sont interdites vos mères, filles, sœurs, tantes paternelles et tantes maternelles, filles d’un frère et filles d’une sœur, mères qui vous ont allaités, sœurs de lait, mères de vos femmes, belles-filles sous votre tutelle et issues des femmes avec qui vous avez consommé le mariage; si le mariage n’a pas été consommé, ceci n’est pas un péché de votre part; les femmes de vos fils nés de vos reins, de même que deux sœurs réunies – exception faite pour le passé. Car vraiment Allah est Pardonneur et Miséricordieux. » (Coran IV-23)
13Notons ici que les mariages avec les cousins issus de germains ne sont pas prohibés et que la pratique réelle des alliances matrimoniales a favorisé ce type de mariage endogame. G. Tillion [8][8]G. Tillion, Le harem et les cousins, Paris, Le Seuil,. 1982. explique ces pratiques par la nécessité de maintenir le patrimoine (terres et troupeaux) dans la famille. Le mariage privilégié avec la cousine germaine évite ainsi l‘éparpillement des biens chichement prodigués par la nature.
14Les sociétés traditionnelles et rurales dont il vient d’être question, ci-des-sus, sont de nos jours en crises et le fiqh qui les encadraient autrefois paraît bien obsolète pour prendre en compte la réalité contemporaine, les évolutions sociales, l’urbanisation croissante des modes de vie, l’extension du salariat et la question des droits de l’homme dont il ne dit quasiment rien.
La zina
17Les relations sexuelles hors mariage sont formellement prohibées. Enfreindre ce qui est du domaine du licite relève du registre de la « zina » terme que l’on traduit généralement en français par « fornication » et qui correspond au langage de la dogmatique chrétienne qui désigne ainsi les relations entre des personnes non mariées et non liées par un vœu religieux. Le terme renvoie également à l’adultère, délit sévèrement puni par les tribunaux, ainsi qu’aux personnes qui s’adonnent à la prostitution.
18Pour le Coran, la zina, « En vérité, c’est une turpitude et quel mauvais chemin !» est-il dit dans le verset 32 de la sourate XVII. Plus loin encore, il est dit que cela mérite « cent coups de fouets » (Coran XXIV-2).
19Cependant le terme de zina peut être aussi entendu, en arabe, dans le sens d’« ornement », d’« enjolivement » et de « jolie » et est, dans ce sens là, donnée quelquefois comme prénom féminin.
20Nous venons de voir que l’islam et les responsables religieux imposent une certaine morale sexuelle, prescription du mariage, refus du célibat (et méfiance pour le monachisme), refus de l’homosexualité etc. Nous allons énoncer maintenant quelques hypothèses concernant la sexualité et ses problèmes.