Texte intégral
1La circoncision, qui est considérée comme acquise dans la religion musulmane, faisait et fait encore l’objet de débats et de controverses dans l’histoire juridique musulmane. Sa raison d’être est moins domination de l’homme sur la femme, son entrée dans l’âge adulte et la socialisation des sexes1, l’alliance entre Dieu et les musulmans (comme cela est le cas dans la religion juive, la circoncision constituant la traduction même de l’identité juive2), que la manifestation de l’exécution d’un ordre divin tel qu’il est compris. Cet ordre divin varie entre la recommandation et l’obligation. Certains voient la circoncision comme un marqueur de l’identité musulmane.
2La question de la circoncision est traitée dans les commentaires du Coran, surtout au sujet de la circoncision d’Abraham, et non pas dans le Coran lui-même. Il existe également quelques hadiths qui abordent cette question3.
3Concernant les traités de doctrine juridique proprement dits (fiqh), les fuqaha’ ne l’ont abordée que d’une manière accidentelle en traitant d’autres questions. La circoncision est mentionnée dans différents chapitres dans le traité de droit musulman classique : elle se trouve aussi bien dans le chapitre sur les ablutions – tahara – que dans le chapitre concernant le louage de service (car on loue le service d’un circonciseur), et dans celui relatif à la responsabilité pénale et civile du circonciseur (sa responsabilité étant analogue à celle du médecin). Cette question se trouve également dans le chapitre sur le témoignage et enfin dans celui traitant de l’hermaphrodisme.
4Certains auteurs ont consacré des épîtres à la circoncision mais on n’en trouve pas traces4. Ibn Qayyim al Jawjiyah (m. 751/1350)5 a rédigé un livre sur le nouveau-né comportant une large partie sur les règles du khitan, terme arabe pour la circoncision. Il recense 392 règles la concernant. Elle consiste en l’ablation totale du prépuce ; le gland du pénis étant laissé à découvert6. Les débats sur la circoncision dans le droit musulman classique seront, tout d’abord, retracés (I) puis les interrogations contemporaines seront, ensuite, exposées (II).
I. Les débats sur la circoncision en droit musulman classique
A. Le statut de la circoncision : obligation ou recommandation ?
5Quand les juristes musulmans débattent d’une question juridique, ils essaient de la classer parmi cinq catégories : obligation (wajib), interdiction (haram), réprimande (makruh), recommandation (mandub) et neutralité, c’est-à-dire on peut le faire ou non (mubah). Les hanéfites ajoutent deux autres catégories. Pour celle correspondant à une obligation, ils en recherchent l’origine. Si celle-ci trouve sa source dans le Coran et la Sunna, ils l’appellent fard.
6Concernant la circoncision, les juristes l’ont classée selon seulement deux catégories, à savoir une obligation et une recommandation.
7Les Shafi’i7 et les Hanbali8 considèrent la circoncision comme une obligation, tandis que pour les hanéfites9, il s’agit d’une recommandation. Les malékites tendent plutôt vers la recommandation mais les mots qu’ils emploient ne sont pas toujours univoques10. En général, ces juristes n’explicitent pas leurs justifications à l’origine du classement adopté.
8Ibn Qayyin al-Jawziyya a résumé les débats sur cette question jusqu’à son époque. Il énonce les différents arguments sur la légalité et sur le statut de la circoncision. Sa présentation est ici reprise en y ajoutant les arguments d’autres juristes s’étant prononcés pour ou contre l’obligation de la circoncision, ainsi que d’autres questions non abordées par lui.
1. Les arguments à l’appui du caractère obligatoire de la circoncision
9Il n’y a pas de mention du khitan dans le Coran mais la légalité de la circoncision est traitée dans les commentaires de versets basés sur des hadiths, notamment le verset 124 dit de la Vache : « (Rappelez-vous) quand le Seigneur éprouva Abraham par certaines prescriptions » (kalimat).
10Les commentaires11 mentionnent que Dieu a éprouvé Abraham par le tahara, cinq purifications qui concernent la tête : coupe de moustache, madmada qui a trait à la bouche, istinshaq qui concerne le nez, siwak concernant les dents, le front ; et cinq pour le corps : taille des ongles, épilation du pubis, circoncision, épilation des aisselles et lavage des effets après avoir fait sa toilette (pour éliminer excréments et urine) avec de l’eau (Commentaires d’Abdil Razak).
11Il faut également citer le verset 123 de la sourate 16 dite des Abeilles : « […] Ensuite nous t’avons révélé : suis la religion (milla) d’Abraham en hanif car il ne fut point parmi les Associateurs ». En liant les deux versets, on établit l’obligation de la circoncision. En effet, d’une part, un ordre divin est donné à Abraham et, d’autre part, l’autre verset indique qu’il faut suivre Abraham12.
12En outre, certains hadiths décrivent le moment de la circoncision d’Abraham soit à l’âge de 80 ans, soit à celui de 120 ans. Un autre débat porte sur l’utilisation d’une hache et sur le lieu, une ville du nom de Qudum13.
13Abraham a effectué la circoncision d’où découle cette obligation14. Pour Al-Nawawwi, le fait de suivre Abraham dans l’acte de circoncision ne veut pas dire que cela est obligatoire : le fait de faire quelque chose ne signifie pas qu’il l’a fait parce qu’il y est obligé. Al-Nawawwi répond à cela que le verset est explicite, disant qu’il faut suivre Abraham dans ce qu’il a fait, il convient donc de faire tout ce qu’il a fait sauf s’il y a une preuve que c’est une sunna (recommandation)15.
14Un autre argument tient à un hadith concernant une personne convertie à l’islam. Une version de ce hadith énonce que le Prophète lui a demandé de procéder à la circoncision16. Selon un autre hadith, celui qui s’est converti à l’islam doit se circoncire17. D’autres hadiths disent que ne sont pas acceptés la prière du al-aqlaf (le non-circoncis), ni son pèlerinage18, ni la viande de l’animal qu’il a égorgé, ni son témoignage19. La question du témoignage d’un non-circoncis est soulevée et certains juristes distinguent entre sa non-circoncision par nécessité ou non.